(Correspondance de Beyrouth - 03 mai 2013) Une source libanaise très proche de l’enquête menée depuis le mois d’août 2012 dans l’affaire de terrorisme de grande échelle qui visait le Liban (sous le label Al-Qaïda), impliquant l’ancien ministre libanais Michel Samaha, le général syrien Ali Mamlouk, son chef de cabinet le colonel Adnane, ainsi que la conseillère de Bachar Al-Assad, Bouthaïna Chaabane, nous a fait part de ses interrogations légitimes autour des déboires judiciaires de Claude Guéant, l’ancien ministre français de l’Intérieur et ancien secrétaire général de l’Elysée, sous Nicolas Sarkozy.
Notre source s’appuie sur les révélations des médias français de ce jeudi 2 mai 2013, selon lesquelles « Claude Guéant a justifié ses 500.000 euros reçus en espèces, en 2008, par la vente de deux tableaux à un avocat originaire de Malaisie ». Or, toujours selon les médias français, « le ministère français de la Culture dément avoir donné les autorisations nécessaires à l’exportation d’œuvres d’art d’une valeur supérieure à 150.000 euros ». Une radio publique française cite aussi un expert selon lequel « les deux tableaux en question ne coûteraient pas plus de 15.000 euros chacun. On est loin des 500.000 euros trouvés sur les comptes de Claude Guéant ». Cette source française fait ainsi le lien entre ces fonds et les soupçons d’un financement libyen de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy, ce que l’ancien président et ses proches démentent.
Or, la source libanaise évoque une autre piste bien plus sérieuse que celle qui mène à Tripoli. Il s’agit de la piste de Michel Samaha qui mène à Damas. Notre interlocuteur rappelle en effet ce que plusieurs journaux libanais, comme « Al Joumhouriya » ou français comme « Marianne », avaient évoqué : « Samaha était chargé, en 2008, de réhabiliter le régime syrien en France, en s’appuyant justement sur ses relations avec Guéant. Cette manœuvre a réussi et a été couronnée par l’invitation adressée à Assad au sommet de l’Union pour la Méditerranée, le 12 juillet 2008, et pour assister au défilé du 14 juillet », un acte considéré alors comme une injure à la France et qualifié de « deuxième assassinat de l’ambassadeur français au Liban, Louis Delamarre ».
La coïncidence des dates est troublante, précise notre source. Elle ajoute : « Samaha est connu pour son affairisme. Il aurait demandé un important budget pour arroser ses interlocuteurs français. Certains responsables syriens l’ont, un moment, soupçonné d’avoir gardé l’argent pour lui. Informé de ces possibles transactions, l’Elysée a diligenté une enquête pour savoir si Samaha a corrompu ses amis français ». C’est du moins la version du journal « Al-Joumhouriya ». « En gros, Claude Guéant dirigeait l’enquête pour savoir s’il avait lui-même touché des fonds syriens », ironise-t-on à Beyrouth.
Aujourd’hui, rien ne prouve que l’argent trouvé sur les comptes de Guéant soit d’origine syrienne, l’argent n’ayant pas d’odeur. Mais rien ne prouve non plus que les fonds n’aient pu transiter par la Malaisie pour brouiller les pistes. D’autant plus que les relations entre Damas et Kuala Lumpur étaient très développées. Le premier ministre syrien d’alors, Naji Otri, s’était rendu en visite officielle en Malaisie, en janvier 2009, avant qu’une délégation conduite par le directeur de l’Exim Bank of Malaysia, Datuk Muhammedd Hashim Bin Hassan, ne soit reçue à Damas en mars 2009, pour renforcer le partenariat bilatéral. L’Exim Bank of Malaysia avait accordé une importante enveloppe à Damas, destinée à financer la construction de plusieurs stations d’épuration. En Mai 2009, la Syrie a annoncé un accord avec l’Iran, le Venezuela et la Malaisie pour construire la raffinerie Furglus, près de Homs. En juin suivant, une délégation du ministère de la Planification de Malaisie s’est rendue à Damas pour développer la coopération en matière pétrolière et gazière.
Dans l’incertitude, notre source n’écarte pas la piste libyenne, mais privilégie la piste syrienne dans ce financement. Elle rappelle que « les relations avec la Libye transitaient par le Qatar, et Doha a reconnu avoir versé une rançon pour la libération des infirmières bulgares détenues en Libye entre 1999 et 2007. A l’inverse, les relations entre la Syrie et la France transitaient par les intermédiaires Samaha et Guéant. Elles ont été couronnées en juillet 2008, l’année des virements vers les comptes de Guéant ». De plus, insiste notre source, « des zones d’ombre planent sur la politique syrienne de la France, pour le moins ambiguë, durant cette période ». Après la visite de Bachar Al-Assad à Paris en juillet 2008, Nicolas Sarkozy s’est rendu à deux reprises en Syrie, puis il a reçu Assad une seconde fois à Paris en décembre 2010. Entre temps, il avait nommé l’ambassadeur Eric Chevallier à Damas et réintroduit Assad sur la scène régionale et internationale, sans contrepartie apparente. « A moins que cette contrepartie apparaisse aujourd’hui sur les comptes de Guéant », s’interroge notre interlocuteur. Et pour conclure, il regrette, avec ironie, que « la France ait accepté de réhabiliter Assad pour 500.000 euros ! ». A moins, là aussi, que ce ne soit que la partie apparente.
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Stefano B.C.