Le discours des médias et de la classe politique invoque une « communauté internationale » qui serait garante du droit et de la morale pour justifier l’intervention mais c’est une fiction qui ne repose sur aucune réalité crédible. Cette « communauté » ne rassemble ni des juges, ni des moralistes mais des organisations et des fonctionnaires internationaux, des groupes de pression qui peuvent être aussi puissants que l’Organisation de la Conférence Islamique avec sa soixantaine d’Etats-membres. Ces acteurs n’ont rien de moral. Ils sont au service de leurs intérêts politiques et idéologiques et procèdent par majorité automatique. Il n’y a pas si longtemps la dictature libyenne présidait ainsi le Conseil des droits de l’homme. Il est toujours inquiétant de voir un Etat endosser les habits de la morale : l’instrumentalisation des valeurs n’est en général pas très loin.
Si la raison de l’intervention en Libye est purement humanitaire, pourquoi, en effet, cette sollicitude ne s’étend-elle pas la Syrie, au Yémen ? Pourquoi Khadafi et pas Gbagbo ? Pourquoi hier en Serbie et pas au Darfour alors qu’un terrible génocide y était perpétré ? Où commence et où s’arrête la condition de « peuple en danger » ? Est-ce un humanitarisme à géométrie variable, selon que le contrevenant soit puissant ou misérable ?
Si la raison de l’intervention n’est pas politique, que sait-on du pouvoir qui émerge à Benghazi ? Qui sont les membres du Conseil National de Transition ? On y trouve des rivaux de Khadafi et d’anciens membres de son gouvernement tyrannique. Il ne faut pas négliger le fait que, selon le renseignement américain, cette région de Benghazi a fourni aux forces d’Al Qaïda en Irak le plus haut taux per capita des pays arabes, en membres de cette organisation terroriste. De même, elle a connu plusieurs soulèvements contre Tripoli dans les années 1990, sous la houlette du chef djihadiste Abou Yahya Al Libi qui, en 2007, a rejoint Al Qaïda.
On voit à la lumière de ces quelques éléments que l’humanitaire, le droit d’ingérence s’empêtrent inéluctablement dans la nasse de la politique. « La coalition », comme on dit bizarrement n’a, à ce qu’elle déclare, aucun projet politique pour le lendemain. Sauvera-t-elle « un peuple en danger » ou le précipitera-t-elle dans une crise plus grave ? Déclenchera-t-elle un conflit régional ? Questions sans réponses.
La même désinvolture politique s’exerce à propos d’Israël. Pourquoi évoquer Israël ? Car le premier ministre, François Fillon, nous annonce que la prochaine étape de ce que Claude Guéant a défini comme une « croisade » sera Israël. En introduisant, le débat de l’Assemblée nationale sur l’intervention en Libye, il a déclaré, de façon purement irrationnelle, que « le conflit israélo-palestinien ne doit pas être le grand oublié de la transition politique arabe en cours ». On avait cru pourtant, au contraire, que les révoltes arabes désignaient la tyrannie comme leur principal problème et pas Israël … La si vertueuse Europe cherche-t-elle déjà à compenser sa politique erratique en Libye par une « croisade » contre Israël, oppresseur du « peuple palestinien en danger », comme le définissent les thuriféraires de la Palestine, en le négociant au meilleur prix auprès des Arabes ? L’obsession malsaine d’Israël qui semble hanter le leadership de l’Union Européenne ne fait qu’aggraver la violence.
Plus l’Europe cherche à expier l’abandon des Juifs durant la Shoa, plus elle s’enferre dans des contradictions fatales.
Shmuel Trigano
A partir d’une chronique du 25 mars 2011, sur Radio J