« La question palestinienne devant l'Assemblée
des Nations Unies »
Par Sacha Bergheim
pour aschkel.info et lessakele
Cet article de 1948 est une plaidoyer du point de vue arabe sur la question de Palestine, et représente une critique acerbe contre l'ingérence des grandes puissances, notamment l'ONU par l'intermédiaire de l'Angleterre et des Etats-Unis, qu'il tient pour responsables de l'impasse politique (ce qui n'est pas entièrement faux, mais incomplet).
Révélateur de la position diplomatique arabe, cet article est un modèle de casuistique, plus proche de l'exercice de prétoire que de la démonstration historienne, et dont la finalité consiste à couvrir la politique de refus arabe derrière l'alibi commode de l'impérialisme anglo-américain.
Pour autant, on remarquera qu'en aucun cas l'auteur ne charge le sionisme des responsabilités de l'affaire, et son constat d'un « différend arabo-sioniste » est évincé au profit de sa charge constante anti-ONU dont les résolutions – revendiquées aujourd'hui comme « droit » des palestiniens – sont ici qualifiées de « recommandations ». Finalement, pour l'auteur, l'ONU n'a vocation qu'à être la chambre d'enregistrement des faits accomplis, et le droit international le droit du plus fort.
Il impute ainsi l'ouverture des hostilités par les Arabes (l'Etat juif n'est pas présenté comme responsable des hostilités) à la suite de la « recommandation » d'une partition : ce qui révèle le coeur de la position arabe depuis le début, où la « négociation » n'est en réalité que l'acceptation unilatérale de ses conditions.
Plus intéressant est encore la façon dont il présente les conditions contradictoires d'une véritable solution, puisqu'il laisserait le "choix" aux « nationaux » (non définis, juifs? arabes? circassiens? bosniaques? afghans? turcs? chrétiens?...) présents en Palestine mendataire, de régler eux-mêmes leur « différend », tout en se plaçant uniquement du point de vue arabe.
L'intention est explicite : l'ingérence de l'ONU a rendu impossible le règlement de la présence juive comme affaire intérieure ne relevant plus du droit international. Compte tenu du rapport de force défavorable aux minorités juives, l'auteur reconnaît à demi-mot que l'ONU aurait été convié à venir constater que la paix n'aurait pas été respectée par le camp arabe.
Quelques mois auparavant, la Ligue arabe avait diffusé une note visant non seulement les Juifs de Palestine mais aussi les Juifs des pays arabes où la guerre aurait servi de prétexte à l'expropriation, l'extorsion et leur exclusion de la citoyenneté. Quitte à imputer la xénophobie arabe aux Occidentaux, et à en faire le produit de l'impérialisme, quitte à omettre délibérément les pogroms antijuifs et violences antichrétiennes.
Le paradoxe que révèle cet article réside donc dans le témoignage qu'apporte ce plaidoyer rhétorique sur le rejet arabe du droit international, qui entre en contradiction avec la revendication systématique et frauduleuse d'un « droit international » qui serait à charge d'Israel. Si la première Résolution du 27 novembre 1947 (le plan de partition) n'est pas reconnue, comment ne pas révéler l'inanité des revendications creuses sur un prétendu « droit » au retour ou des prétendues frontières de 1967 "reconnues (où, on ne saura jamais) par l'ONU ?
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Mahmud Azmi (diplomate Egyptien),
La question palestinienne devant l'Assemblée des Nations-Unies, In: Politique étrangère, 1948, p.403-408.
Le problème palestinien est rendu complexe par des normes de droit international et par des données d'histoire diplomatique tellement opposées que le meilleur pour y voir clair est de rechercher la suite des événements et de se confier à la saine logique des choses.
[...] La Palestine a toujours été un lieu de rencontre et d'enregistrer la concordance fatale de cette caractéristique millénaire avec les faits de l'heure actuelle, car le problème palestinien, est, dans son essence, un problème de rencontres.
[...] Que faisaient les autorités mandataires tandis que ces essais (économiques, religieux, politiques) s'ébauchaient au sein de la population ?
Elles appliquaient une devise bien connue : « diviser pour régner ». Les fonctionnaires britanniques étaient divisés en deux camps, les uns disant aux Arabes : comment pouvez-vous rester calmes devant l'invasion sioniste?
Les autres soufflant aux juifs: allez-vous les laisser handicaper les progrès acquis de votre vie sociale?
Ils ont pratiqué en outre un système d'atermoiements, faisant des déclarations de réformes constitutionnelles ou administratives, réunissant des commissions, convoquant des conférences de table rondes, publiant des livres blancs, mais dont les recommandations n'étaient suivies d'aucune exécution.
Tout cela s'est terminé par l'élaboration unilatérale d'un plan, annoncé en 1944, basé sur l'idée du partage de la Palestine en trois zones : arabe, juive et zone du mandat. Cette dernière était formé du désert du Negev, de Jérusalem et de Haïfa. C'est alors que les complications commencèrent.
L'Angleterre voulait gardait Haifa pour le pipe-line, garder le Negev pour en faire une station d'aviation nécessaire à la soi-disant défense du Moyen-Orient.
A ces complications stratégiques sont venues s'en ajouter d'autres, d'ordre matériel. Enfin vint s'ajouter la complication soviétique, voulant profiter de l'occasion pour prendre contact avec le Moyen-Orient.
Ces complications, venant s'ajouter les unes aux autres, finirent par rendre la situation de l'Angleterre en Palestine impossible et l'obligèrent à déclarer la faillite de son mandat en soumettant la question aux Nations Unies en avril 1947.
L'Assemblée Générale se réunit en sessions extraordinaire. Une commission spéciale pour la Palestine est nommée. Elle recommande à l'unanimité que soit mis fin au mandat et que l'indépendance soit accordée à la Palestine. Mais s'il y a unanimité sur la question de principe de l'indépendance de la Palestine, la majorité et la minorité se divisent sur d'autres questions. La majorité recommande le partage en deux Etats liés par une union économique, et Jérusalem sous la tutelle internationale, tandis que la minorité souhaite un Etat fédéral indépendant. L'Assemblée, par son vote du 20 novembre 1947, adopte la recommandation du partage et nomme une commission d'exécution.
Alors surgirent les faits suivants :
les Etats arabes refusèrent d'accepter la recommandation de l'Assemblée Générale des Nations Unies, l'Angleterre déclara ne pas accepter la responsabilité de l'application d'un plan qui ne serait pas approuvé par les deux parties.
La commission exécutive estima de son côté que la recommandation ne pouvait être exécutée par des moyens pacifiques. Devant ces trois faits négatifs, les Etats-Unis [...] proposèrent une seconde convocation de l'Assemblée Générale pour examiner la possibilité d'instaurer un système de tutelle provisoire. L'Assemblée générale refusa la proposition de tutelle et nomma un médiateur. La session se tint du 16 avril au 14 mai.
L'Angleterre avait signifiait à l'Assemblée que le mandat se terminerait le 15 mai 1948.
Le même jour, l'Etat d'Israel était proclamé, et les forces égyptiennes et arabes avançaient en Palestine. Le Negev fut occupé par les forces égyptiennes.Aussitôt cette opération accomplie, l'Angleterre proposa au sein du conseil de sécurité une trêve d'un mois. Le mois terminé, les hostilités reprirent, puis une seconde trêve fut de nouveau imposée pour une période indéterminée.
Le médiateur, le comte Bernadotte, présenta son plan. Le Negev serait territoire arabe, donné de préférence à la Transjordanie, en échange d'une partie de la Galilée cédée à l'Etat d'Israel, un régime spécial était prévu pour Haifa et Jerusalem institutionalisée.
Mais le comte Bernadotte fut assassiné, et on en vint à considérer son plan comme un testament.
[...] Au conseil de sécurité, on statuait sur la violation de la trêve et le retour aux positions antérieures ainsi que sur les sanctions à infliger aux récalcitrants. Deux attitudes se dessinèrent, l'Angleterre insistant pour qu'on règle rapidement le problème, l'Amérique au contraire, se dérobant.
Ces différentes attitudes ces revirements soudains on doit pouvoir en dévoiler le mécanisme secret.
Le plan de partage en trizone de 1944 a été arrêté après une tournée générale de Lord Montgomery à travers le Commonwealth et même le monde entier. Le Negev ainsi que Haifa était considéré comme un point stratégique important, nécessaire à l'aviation britannique.
Or la plan Bernadotte n'est autre chose que le plan de partage britannique de 1944, remplaçant le mandat sur Jérusalem et Haifa par l'internationalisation de Jerusalem et un régime spécial pour Haifa. Le Negev d'après le plan Bernadotte est affecté à la Transjordanie, celle ci étant liée à l'Angleterre par un traité qui donne aux forces britanniques tous accès au territoire transjordanien et tout droit de séjour.
Tandis que l'Angleterre voyait d'un mauvais oeil la recommandation du 29 novembre 1947 qui donnait le Negev à l'Etat d'Israel, l'Union soviétique appuyait la proposition américaine.
[...] C'est un lieu commun que de dire que le plan Bernadotte est un plan anglo-américain.
[...] La solidarité anglo-américaine en vue de l'imposition du plan Bernadotte est certaine à mon avis. Mais cette imposition aura des conséquences bien graves. La simple recommandation du partage a suscité des sentiments de haine populaire dans les pays, où, comme en Egypte, les questions raciales et les haines religieuses étaient absolument inconnues. L'évolution du problème palestinien compliquera davantage les choses, le sang ayant coulé et des atrocités ayant été commises. Un abîme a été déjà creusé entre les deux races, c'est là un fait qu'on ne peut nier.
Les Arabes rejetteront le plan Bernadotte comme ils ont rejeté la recommandation du partage du 29 novembre 1947. On arrivera ensuite à un boycottage absolu, un blocus serré autour de cet Etat d'Israel, limité au nord par le Liban, à l'Est et au sud par la Syrie et la Transjordanie, au sud-ouest par l'Egypte. On arrivera donc à une impasse dont le responsable d'après moi n'est autre que l'organisme des Nations Unies.
La Commission sur la question palestinienne est arrivée en effet à une recommandation unanime : fin du mandat britannique et proclamation de l'indépendance de la Palestine. Il fallait s'arrêter là et ne prendre aucune décision, ou recommandation, ou mesure au-delà de l'énoncé de ce principe. La Palestine est une partie de l'ancien empire ottoman, placée sous mandat à la suite de la première guerre mondiale.
Pourquoi ne pas suivre le même système pour la Palestine et la traiter comme une entité capable d'affronter les difficultés d'organisation constitutionnelle et administrative ? Ce serait elle qui ferait son choix : Etat unitaire, fédéral, binational; parité, majorité, minorité, royaume, république, gouvernement central, gouvernements locaux, autonomie régionale, autonomie minicipale, immigration, régime de priorité... Toutes ces questions en réalité sont de la compétence des nationaux.
La question a été mal posée devant les Nations Unies et la procédure suivie erronée. Au lieu de saisir l'Assemblée générale de la faillite de la puissance mandataire, on l'a saisie du différend arabo-sioniste. Au lieu de statuer sur les conséquences de la fin du mandat, qui est une question statutaire, l'Assemblée a statué sur la question du partage en dehors de la compétence des Nations Unies. Celles-ci en effet ont pour tâche de transférer les territoires sous mandat en territoires sous telle homologuer l'indépendance de ces territoires et admettre de nouveaux membres en son sein. [...] Si une situation de fait en découlait qui fût une menace à la paix, il serait toujours temps d'intervenir.
Ce sont des erreurs de procédure qui ont amené au conflit armé, lequel est objectivement parlant, une protestation contre la recommandation du partage, recommandation qui n'est pas de la compétence, je le répète, des Nations-Unies. Celles-ci sont seules responsables de l'impasse dans laquelle est arrivé le problème palestinien. [...] Ce n'est pas la question palestinienne qui a été traitée par les Nations Unies, ce sont les intérêts des Etats qui ceux-ci, à l'occasion du problème palestinien, veulent imposer.
[...] Après toutes ces discussions le problème palestinien demeure.