Fin 2010, Téhéran a annoncé avoir arrêté sept membres d'Al-Qaida dans la province d'Azerbaïjan-e-gharbi (Azerbaïdjan de l'ouest). En fait, la politique que mène l'Iran à l'égard de la nébuleuse terroriste initiée par Oussama Ben Laden est tout autre.
En effet, un certain nombre de responsables d'Al-Qaida, qui étaient réfugiés en Iran - sous un régime de liberté surveillée - suite à l'intervention américaine en Afghanistan fin 2001, ont été libérés et autorisés à quitter le pays. A l'époque de leur fuite vers l'Iran, le passage de la frontière avait été facilité par les troupes d'Ismaël Khan, le gouverneur de la province d'Herat. Ce dernier est considéré comme inféodé à Téhéran. Ils avaient ensuite été accueillis dans la région de Quetta, au Baloutchistan, par l'organisation sunnite iranienne Al Sunna Wal Jama'a, contrôlée en sous-main par les Gardiens de la Révolution (Pasdaran).
Les élargissements de décembre 2010 entreraient dans le cadre d'un accord conclu avec le réseau Haqqani, qui a libéré, le 30 mars 2010, Heshmatollah Attarzadeh, l'attaché commercial en poste auprès du consulat général d'Iran à Peshawar. Ce denier avait été enlevé le 13 novembre 2008 alors qu'il se rendait à son travail. Les auteurs de cette action terroriste appartenaient au Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), le plus important mouvement taleb pakistanais. L'otage aurait ensuite été « revendu » au réseau Haqqani afghan [1], qui se serait chargé des négociations. En plus de la libération des membres d'Al-Qaida qui ne constituait que le dernier volet de l'accord conclu, le réseau Haqqani aurait obtenu de l'argent et des armes.
La politique de Téhéran vis-à-vis de la zone AFPAK
Téhéran ne serait pas mécontent de renforcer la « résistance » dans la zone AFPAK. En effet, les taliban afghans et pakistanais, ainsi que les combattants internationalistes d'Al-Qaida qui sévissent de part et d'autre de la frontière afghano-pakistanaise, ont connu de graves revers, principalement provoqués par les opérations clandestines américaines.
Or les Iraniens poursuivent deux objectifs :
- en premier lieu, continuer à engluer les Américains dans des conflits de basse intensité durables de manière à ce que ces derniers ne puissent pas se retourner pas contre eux ;
- en second lieu, affaiblir les gouvernants afghans, pakistanais et saoudiens que Téhéran considère comme des adversaires. Cette politique a pour objectif de préserver le rôle essentiel que les Iraniens souhaitent jouer au Proche et Moyen-Orient, particulièrement si le pays parvient à se doter d'un arsenal nucléaire militaire.
Il semble que l'argent et les armes aient déjà été recueillis par le réseau Haqqani. La libération des responsables d'Al-Qaida ne présente pas trop d'inconvénients pour l'Iran à condition qu'une partie de ces activistes n'en profite pas pour intensifier les actions anti-chiites, particulièrement en quittant la zone AFPAK pour rejoindre l'Irak. En effet, si Téhéran tolère - et encourage parfois - l'action des combattants internationalistes d'Al-Qaida en Afghanistan et au Pakistan (à l'exception des attentats dirigés contre la communauté chiite locale), ceux-ci ne sont pas les bienvenus en terre irakienne où l'Iran souhaite l'établissement durable d'un pouvoir aux mains des chiites Il combat l'influence sunnite et kurde.
Les responsables d'Al-Qaeda en Iran
L'opérationnel le plus important autorisé à quitter l'Iran est Saif al-Adel, l'ancien officier des forces spéciales égyptiennes qui continuait, au moins sur le papier, à diriger les activistes d'Al-Qaida réfugiés en Iran, bien sûr sous la supervision des Pasdaran. Il aurait rejoint la zone AFPAK pour prendre la responsabilité tactique de ce théâtre pour Al-Qaida. Il remplacerait le cheikh Fateh, un Egyptien qui a trouvé la mort le 25 septembre 2010 après avoir succédé à son compatriote Moustafa Abou al-Yazid, tué le 21 mai de la même année.
Saif al-Adel serait accompagné du Koweitien Souleiman Abou Gheith, porte-parole du mouvement au moment des attentats du 11 septembre 2001 ; d'Abou Mohammad al-Masri, un expert en explosifs recherché par le FBI sous le patronyme de Abdullah Ahmed Abdullah ; de l'Egyptien Abou al-Kheyr al-Masri, un ancien proche du docteur Al-Zawahiri, le numéro deux d'Al-Qaida ; et du Mauritanien Mahfouz Ould al-Walid, un idéologue du mouvement, mais qui s'était plutôt rapproché des talibans afghans.
Au moins trois fils d'Oussama Ben Laden résidaient encore en Iran en 2007 : Saad, Mohamed et Osman. Saad aurait quitté le pays et aurait peut-être été tué par un raid américain au Pakistan, en 2009. Iman Ben Laden, une des filles du leader d'Al-Qaida, était également présente officiellement à Téhéran en 2010, pays qu'elle a quitté en mars 2010 pour rejoindre sa mère en Syrie.
Le corps Ansar de la force Al-Qods
L'aide apportée par Téhéran aux combattants d'Al-Qaida ainsi qu'aux talibans n'est pas nouvelle. Le corps Ansar de la force al-Qods des Pasdaran encadre depuis des années les activistes internationalistes sunnites.
Le chef de cette unité est le général Hossein Mussavi, qui est inscrit depuis le 6 août 2010 sur la liste des personnes accusées de terrorisme par le département du Trésor américain. Les villes de Mashad (qui accueille l'état-major du corps Ansar ), Tayyebat, Birjan, Maibod, Zahedan et la région de Shamsabad, près de Téhéran, abritent des camps où se trouvent ces militants qui, une fois entraînés, repassent en Afghanistan.
Des cellules d'Al-Qaida ont été repérées dans les districts de Barkwah, Balu Barak, Frah, Gulistan et Pusht-e Rod de la province de Farah (soit 5 des 11 districts de cette région située au sud-ouest de l'Afghanistan). Parallèlement, l'Iran utilise aussi les compétences du Saoudien Abdullah al Qarawi, qui est responsable d'Al-Qaida dans le Golfe persique. A ce titre, il y recrute de nombreux volontaires locaux pour aller mener la guerre sainte en Afghanistan.
Alors que les « révolutions » arabes s'étendent inexorablement, Oussama Ben Laden, qui, comme beaucoup d'autres, n'a rien vu venir, en est réduit à un rôle annexe. En effet, les manifestants qui descendent dans les rues demandent plus de liberté et de reconnaissance et non l'établissement du califat mondial qu'Al-Qaida appelle de ses vœux. Son dernier carré, pourchassé dans les zones tribales pakistanaises semble plus préoccupé par sa sur vie que par la situation mondiale. Une partie de ses dernières troupes paraissent être désormais instrumentalisées par Téhéran qui les utilise pour ses propres desseins. En effet, l'Iran souhaite jouer un rôle dans les bouleversements qui se déroulent actuellement dans le monde arabe. SI les populations chiites au Yémen et au Bahreïn peuvent être épaulées directement mais discrètement -, ce n'est pas le cas ailleurs. La manipulation d'activistes d'Al-Qaida est donc une des solutions adoptées par les mollahs pour étendre leur influence aux Proche et Moyen Orients tout en protégeant leur propre régime des soubresauts qu'il pourrait connaître.
- [1] Mouvement tribal allié aux talibans afghans. Il est actif de part et d'autre de la frontière afghano-pakistanaise.